La Messe Solennelle


MESSE SOLENNELLE de Louis Niedermeyer
(*1802, Nyon – †1861, Paris)

Composée durant les événements qui en1848 agitèrent Paris, et auxquels le Suisse Niedermeyer prit part, non sans s’être vu reconnaître comme Français pour la circonstance, la MESSE SOLENNELLE de notre Nyonnais fut donnée dans la vaste nef de St-Eustache de Paris le jour de la Sainte Cécile, le 22 novembre 1849. Dans sa production musicale, cette œuvre marque un tournant. Venant après les mélodies pour chant et piano qui assirent sa réputation de compositeur et entre ses deux derniers opéras, Marie Stuart et La Fronde, elle représente sa première grande œuvre religieuse. Elle répond à une intention, déjà manifestée dans quelques scènes de ses opéras, à servir un art moins superficiel et qui touche aux sentiments les plus profonds de l’être : la musique religieuse. Par la suite en effet, dans les huit dernières années de sa vie, il s’y consacra entièrement.

Il peut cependant paraître étonnant que, tout en restant attaché à sa confession protestante, Niedermeyer se soit voué dès lors essentiellement à la musique liturgique catholique et d’une façon qui allait forcer l’admiration des plus fervents défenseurs d’une forme d’intégrité de l’art sacré. L’un d’entre eux, le distingué musicographe Joseph d’Ortigue parle de cette Messe Solennelle comme « d’un chef d’œuvre d’art, de style et de sentiment religieux (...) c’est que cette messe se distingue par le caractère sacré qui convient surtout à la prière ; elle replie l’âme sur elle-même, elle lui parle un langage recueilli et pénètre en elle par mille voies secrètes. »

On comprend que le nombreux public qui assistait à la création de cette messe à Saint-Eustache en fût très impressionné. Au nombre des auditeurs se trouvait Hector Berlioz qui en fit un éloge appuyé. Dans le Journal des Débats du 27 septembre, après s’être donné un délai de réflexion,- dont il s’excuse-, il en rend compte en ces termes : « l’impression que cette œuvre religieuse a produite sur moi n’est pas de celles qui s’effacent au bout de quelques jours, et je crois l’avoir encore assez présente à la pensée, pour en parler sans trop de présomption. Les qualités évidentes de la messe de M. Niedermeyer, à mon avis, sont d’abord un sentiment vrai de l’expression,une suavité extrême de mélodie, une instrumentation sage, et beaucoup de clarté dans la disposition des divers dessins vocaux. Ajoutons-y un mérite plus rare qu’on ne le pense, en France surtout, celui de bien prosodier la langue latine. Rien n’est négligé dans cette vaste partition; l’ensemble en est beau, souvent imposant et la plupart des détails n’ont rien à redouter d’un examen minutieux.»

Et effectivement, l’auteur de la Symphonie fantastique va-t-il s’arrêter sur les moindres détails de ces pages remarquables: « le Kyrie, écrit dans le ton de si mineur rarement employé à l’église, est d’un beau caractère, suppliant et triste, que le cri d’imploration au mot eleison jeté par moments sur une dissonance, rend encore plus saisissant. Après l’intervention du petit chœur par le Christe, la rentrée du grand chœur avec toutes les puissances de l’orchestre produit un bel effet.

Dans le Gloria, après un début un peu traditionnel peut-être, j’ai remarqué un travail de fugue de beaucoup d’intérêt, et un beau dialogue entre le grand et le petit chœur.

Le solo des voix graves au Qui tollis est peut-être plus solennel que suppliant, et cependant il s’agit là d’une prière ; mais au mot Miserere l’accent redevient d’une vérité incontestable.

Le début du Credo est conçu dans le sens d’une proclamation de foi éclatante, fière, pompeuse ; la phrase en est remarquable par l’ampleur, bien posée et largement développée. L’orchestration en est riche et ingénieuse. Le morceau sur le mystère de l’incarnation, morceau si difficile à bien faire est l’un des meilleurs de l’œuvre de M. Niedermeyer. C’est un chœur sans accompagnement, d’un intérêt intense, profond et soutenu jusqu’à la conclusion amenée avec un art extrême sur les paroles Et homo factus est, où le mode majeur éclate enfin, radieux et puissant. Au Crucifixus les instruments à vent, gémissant dans le grave, produisent des successions qui m’ont parues originales sans être trop recherchées.

L’ensemble du Sanctus est d’une rare magnificence, bien qu’à la seconde partie (en mi mineur), le style fléchisse un peu. Au Benedictus où l’onction religieuse domine, le groupe harmonieux et charmant des bois se meut en des séries d’accords qu’on trouve un peu usées aujourd’hui, malgré tout leur charme.

Quant au Salutaris qu’Alexis Dupont a chanté avec une pureté de style et une voix dignes des plus grands éloges, c’est un hymne d’amour mystique d’une beauté exquise. L’auditoire tout entier, dès les premières mesures, s’est senti ému et charmé. La sainte mélodie s’élève d’abord sur un accompagnement des instruments à cordes, en sons soutenus dans le medium et le grave, et s’incline ensuite au contraire sous un dais harmonieux de sons aigus que soutiennent les flûtes et les violons. C’est délicieusement beau. Enfin l’Agnus Dei qui termine cette riche partition, morceau magistralement conçu, et non moins bien exécuté, emprunte au timbre des voix de basses mises en action d’abord dans la partie la plus énergique de leur échelle, un caractère singulier et neuf d’humilité robuste : c’est la prière des hommes forts. »

Une critique artistique et technique de cette qualité ne souffre aucun ajout ni commentaire. De la part d’Hector Berlioz, un rival de Louis Niedermeyer qui aurait somme toute pu céder à la tentation de noircir et dénigrer l’œuvre de son confrère, c’est une démonstration d’honnêteté et d’objectivité remarquable.
                       Extrait de la conférence de E.Garo du  16.09.10

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